La galerie Malaquais

 

L'ouverture de la galerie Malaquais repose sur la volonté de rappeler l'excellence de sculpteurs parfois méconnus. Francs-tireurs de la beauté, ces révolutionnaires silencieux, riches de savoir et de solidité humaine, dépassent les contraintes matérielles, économiques et physiques, acceptent souvent une position sociale à contre-courant mais en passe aujourd'hui, peut-être, de devenir l'avant-garde pour n'avoir pas cédé à l'avant-gardisme. Dans un acte de résistance, ils s'attachent à la représentation et à l'exaltation de l'être humain dans ses apparences sensibles et dans sa vie profonde. Le projet de la galerie Malaquais, c'est une invitation à éduquer notre œil " à voir ce que l'on voit " (Charles Péguy) ; c'est aussi tracer de 1900 à nos jours, à travers la succession d'expositions, un parcours artistique nourri de la singularité de chacun des sculpteurs.


Axe essentiel de l'art moderne, la sculpture indépendante, ancrée dans le vivant, est tout au long du XXe siècle, une source pérenne dont les ramifications souterraines surgissent et attestent la vitalité étonnante de ses artistes. La tradition qui sous-tend le travail de ces sculpteurs est à la marge de l'expression d'une mode et se détourne d'un modernisme expérimental coupé de l'homme. Par la diversité des tempéraments et la richesse des styles, ceux notamment d'un Despiau, Malfray, Damboise, Carton, Auffret, Babin ou Couturier, elle s'inscrit dans la filiation d'une longue histoire, synthèse d'une exigence ancienne et d'une plastique renouvelée. C'est une culture et une sculpture : un art total qui satisfait les yeux, l'intelligence et le cœur.


Premier événement, l'exposition " Les architectes du sensible " est tout d'abord un état des lieux de la sculpture indépendante, la démonstration des relèves successives sous l'égide devinée des amitiés fortes et des affinités électives qui unissent tous les artistes comme autant de traits d'union. Dans la trilogie exemplaire des grandes œuvres de Degas, Rodin et Bourdelle se manifeste une pléiade de sculpteurs aux dons rares, animés des mêmes exigences, et qui enchante depuis un siècle. C'est leur histoire qui est ici contée, celle de leur descendance, une histoire qui construit en filigrane dans le temps l'espace privé et l'espace public pour mieux grandir la cité.


Cette première exposition, ambitieuse et généreuse, grâce aux quelque quinze artistes représentés et surtout inédite par le corpus d'œuvres jamais rassemblées, révèle les motivations profondes à l'origine de la galerie Malaquais : offrir au regard le panorama exceptionnel d'un art dans le miroitement de ses formes, de ses volumes, qui s'interpellent et se répondent dans le temps.


La galerie Malaquais, un lieu d'exposition privilégié pour la sculpture indépendante du XXe siècle. Elle répond à une attente car qui connaît aujourd'hui la bande à Schnegg ? Qui connaît les sculpteurs indépendants qui s'y rattachent ? Où peut-on voir les œuvres de ces hommes qui ont formé l'un des courants les plus importants de ce siècle ?


Des maîtres et leurs émules


Dans son enseignement, l'histoire de l'art accrédite et valorise la sculpture indépendante dès lors qu'elle lui associe les noms de Degas, Rodin et Bourdelle qui dominent au début du siècle, relayés bientôt par ceux de Despiau, Wlérick et Maillol qui font l'unanimité de la critique d'avant-guerre. Pour le reste, l'oubli s'est substitué au flou de la mémoire. Et pourtant, force est de reconnaître que la sculpture figurative persévère au XXe siècle. Comment se traduit l'héritage de Rodin ? Maillol et Despiau seraient-ils les seuls représentants de la continuité ? C'est oublier notamment dans l'entourage proche de Charles Despiau, des sculpteurs, dont certains furent praticiens dans l'atelier de Rodin, reconnus et soutenus par le maître mais dont le rayonnement pour certains et le début de la reconnaissance pour les autres se sont éteints ou évanouis par le truchement des bizarreries de notre histoire.


Histoire d'un malentendu


À l'image de la statue équestre du Maréchal Foch au Trocadéro, réalisée par Robert Wlérick et Raymond Martin ou encore celle de Charles Auffret, L'Esprit des lois rue de Vaugirard, Paris et ses environs attestent de la vitalité d'une formation de sculpteurs qui accompagnèrent le renouveau du paysage urbain de la capitale grâce à des commandes de l'état. Si nombreux sont les amateurs éclairés et experts qui s'intéressent à la sculpture indépendante, on ne peut cependant pas ignorer que dans son sillage se répercutent les échos d'un malentendu. Dans les années trente, au cœur des bouleversements économiques et industriels, l'académisme pompier est l'apanage d'un art officiel narratif au service d'une bourgeoisie dominante. Dans l'histoire de la sculpture indépendante, le mot " académisme " catalyse à lui seul un amalgame et jette le discrédit sur celui d'" indépendant ". Car l'académisme n'est pas seulement une période de l'histoire de l'art, mais une attitude de l'artiste, imitant des recettes conventionnelles, dans l'incapacité de développer une vision personnelle et vivante de son art. Souvent figurative, la sculpture indépendante à cette époque est donc assimilée à un académisme de bon ton… C'est là le premier piège auquel elle tente d'échapper, confinée dans l'espace étroit que lui laisse le clivage qui naît entre un art officiel et une avant-garde en rupture avec la tradition. Plus grave peut-être est la persistance de ce jugement dans les années soixante dominée par une certaine exégèse artistique : le conformisme de la statuaire de l'entre-deux guerre, justifie l'idée selon laquelle tout ce qui n'est pas d'avant-garde est nécessairement médiocre…C'est là un jugement tronqué. C'est ne pas reconnaître la singularité de tous ces héritiers de la grande tradition française de la sculpture qui se sont illustrés par leur courage et leur probité intellectuelle et artistique. Avec le temps, notre regard s'est brouillé pour finalement exclure du paysage artistique " Cette pléiade (qui) est l'honneur de la statuaire contemporaine " comme l'annonçait Apollinaire dans un mouvement de vigilance.


Des sculptures et des dessins


Exposer dans un même espace sculptures et dessins illustre un métier et son art. Certains dessins sont des ébauches, les prémisses de l'œuvre à venir. D'autres sont d'emblée des œuvres abouties. À lire les notes laissées par les sculpteurs, à les écouter parler de leur travail, le dessin, à la base de leur formation, occupe une place centrale. Exercice d'apprentissage, il devient exercice de style : " l'opération mathématique exacte qui contient la beauté " comme le définissait Charles Auffret. Parce que le dessin apprend à chercher, à développer le sens de l'espace, de la surface et de la lumière, parce qu'il est la colonne vertébrale de la formation de l'artiste, parce qu'il permet aussi de comprendre la genèse de l'œuvre, le dessin très présent galerie Malaquais, permettra aux visiteurs de mieux saisir l'univers des sculpteurs, dans ce qu'il laisse entrevoir d'efforts, de persévérance, de talent et toujours d'une rigueur totale.


La sculpture indépendante et ses représentants : les artistes exposés galerie Malaquais


L'histoire de la sculpture indépendante est l'affaire d'une passation de pouvoir discrète, presque souterraine, mais bien réelle entre des hommes soudés par l'amitié et l'immense respect qu'ils se témoignent, conscients du monumental trajet à parcourir pour faire connaître et reconnaître leur art. De Rodin à Mathieu Gaudric, jeune sculpteur né en 1974, tous les sculpteurs présents galerie Malaquais ont bénéficié de l'enseignement de leurs aînés, tous ont mûri dans le même creuset, tous se sont constitués une culture procédant des mêmes filiations, tous ont tissé les liens nécessaires à la sauvegarde et au renouvellement de leur art. C'est une longue chaîne et chacun en représente un maillon.


Ils s'appellent Lucien Schnegg, Jane Poupelet, Robert Wlérick, Charles Despiau, François Pompon et forment la Bande à Schnegg, une confrérie de sculpteurs qui se constitue autour de 1900 et autour de Rodin. À l'image des artistes florentins du temps de Donatello qui manifestaient une même exigence dans l'art de la statuaire, les uns les autres se stimulent, s'encouragent, s'entraident. Tout entiers voués à leur art, ils bravent souvent des conditions d'existence difficile, souffrent d'une reconnaissance tardive quand pour certains ils ne reviendront pas de la guerre affaiblis ou malades. Suivant leur modèle et leur aspiration, se rattachent à la même époque d'autres courants où émergent Charles Malfray et Marcel Gimond. C'est Robert Wlérick notamment, le plus pédagogue de la Bande à Schnegg qui en transmet les valeurs à différents sculpteurs dont Jean Carton. Autour de ce dernier et grâce à Juliette Darle, la constitution dans les années soixante du Groupe des Neuf apporte le démonstration de la vitalité de la sculpture indépendante alors que sa présence se manifeste au moment où la politique artistique se détourne du figuratif et prodigue essentiellement et officiellement son aide à d'autres courants artistiques. La sculpture indépendante poursuit ainsi sa route avec pour figures de proue au sein du Groupe des Neuf : Marcel Damboise, Léon Indenbaum, Jean Osouf, Jean Carton, Raymond Corbin, Leopold Kretz, Gunnar Nilsson, Raymond Martin et Jean Carton.


Lauréat du prix Émile Godard remis par le Groupe des Neuf,
Charles Auffret est représentatif avec Françoise Salmon, Arlette Ginioux, Gudmar Olovson et René Babin notamment, de la troisième génération, suivie de la quatrième représentée entre autres aujourd'hui par Mathieu Gaudric qui a lui-même suivi l'enseignement de Charles Auffret. Tous ces sculpteurs sont exigeants, ils surveillent la qualité des fontes, contrôlent la ciselure et la patine. Mais leur plus haute exigence, c'est d'interroger la matière. Car, comment s'affirmer à la suite des grands maîtres du XIXe siècle ?


La galerie Malaquais : l'art vivant d'une tradition sculpturale renouvelée


Retournant d'une part aux sources et de l'autre devançant leur époque, les sculpteurs exposés galerie Malaquais s'attachent à la représentation, à l'exaltation de l'être humain. Ils trouvent un point d'équilibre entre plastique et réalité, entre acquis culturel et représentation inédite. Comme pour Rodin, la nature guide, la beauté des proportions traduit le caractère du modèle, et avec les maîtres, ces artistes partagent l'esprit d'émulation. Ici, c'est un art dépouillé et recueilli, allégé de tout pathos romantique et loin du tumulte. L'intimité avec le sujet manifeste l'humilité et la ferveur devant le vivant pour trouver une forme plastique authentique qui interdit les stéréotypes. Revendiquant la tradition sculpturale, ces artistes explorent les moyens propres à leur art : le plan, la lumière, le caractère des profils en relation avec la nature. Cela leur confère un penchant naturel pour le buste et le nu, sujets classiques par excellence au même titre que l'art animalier, domaine de prédilection de Jane Poupelet ou François Pompon.


La galerie Malaquais : un lieu d'expositions, de conférences, un lieu vivant d'échanges


La galerie Malaquais s'inscrit dans une démarche enthousiaste et didactique. Lieu vivant d'échanges, elle invite les spectateurs à devenir plus que de simples regardants. À la succession d'expositions monographiques ou thématiques s'ajoute un programme de conférences données par les artistes eux-mêmes, par des critiques d'art mais aussi par des spécialistes d'autres domaines dont le propos interdisciplinaire permet de faciliter une démocratisation d'un genre et d'un courant artistiques pour le grand public.


À venir les expositions monographiques de chacun des sculpteurs. Et aussi, une exposition des plus beaux bustes et estampes de l'époque. Quant aux conférences, elles éclaireront l'art de la sculpture, le processus de création : au-delà de l'histoire artistique, la manière de poser ses yeux, ses mains reste essentielle. Enfin, des projets d'édition véhiculeront autour des artistes représentés, une pensée, un métier, un art de voir.


L'intérêt croissant du public pour la sculpture


À la faveur de grandes réussites que sont dans le domaine institutionnel, le musée de Roubaix et le musée des Années Trente, à l'exemple aussi d'expositions, telles La Sculpture au XIXe siècle au Grand Palais en 1986 et plus proche de nous celle consacrée à la sculpture néoclassique au musée du Louvre, qui ont créé l'événement, la galerie Malaquais souhaite répondre à la curiosité du public pour cet art.


Les créateurs


Jean-Baptiste Auffret, 38 ans, scénographe et collaborateur de Richard Pedduzi et de Patrice Chéreau communique son amour de la sculpture à Marc Litzler, 45 ans, financier et bibliophile averti. De cette rencontre naît le pari de rassembler les œuvres de sculpteurs majeurs de la sculpture figurative indépendante et de les exposer au grand public dans un espace idéalement situé au cœur des activités de la rive gauche. C'est chose faite.